Thursday, January 26, 2006

Discurs de Chirac

Revue de presse

19/01/2006 : Jacques Chirac, président de la République"Protéger nos intérêts vitaux"C'est un réel plaisir de me retrouver aujourd'hui parmi vous, à l'île Longue. Je suis heureux de pouvoir rencontrer les femmes et les hommes, militaires et civils, qui participent à l'accomplissement d'une mission fondamentale pour notre indépendance et notre sécurité : la dissuasion nucléaire. La création d'une force nationale de dissuasion a constitué, pour la France, un véritable défi qui n'a pu être relevé que par l'engagement de tous. Elle a imposé de mobiliser toutes les énergies, de développer nos capacités de recherche, de trouver des solutions innovantes à de nombreux problèmes. La dissuasion nucléaire est ainsi devenue l'image même de ce qu'est capable de produire notre pays quand il s'est fixé une tâche et qu'il s'y tient. Je tiens ici à rendre hommage aux chercheurs et ingénieurs, du CEA et de toutes les entreprises françaises, qui nous permettent d'être toujours en pointe dans des secteurs vitaux comme les sciences de la matière, la simulation numérique, les lasers, et notamment le laser Mégajoule, les technologies nucléaires et celles de l'espace. Je veux prolonger cet hommage à tous ceux qui soutiennent, d'une façon ou d'une autre, nos forces nucléaires : personnel de la DGA, cadres et ouvriers des sociétés et groupes industriels, gendarmes du contrôle gouvernemental, militaires de toutes les armées. Mais mes pensées vont bien sûr en premier lieu aux équipages des composantes océanique et aéroportée qui, en permanence, dans la discrétion la plus totale, assurent la plus longue et la plus importante des missions opérationnelles. J'ai fixé un taux de posture exigeant qui correspond aux besoins de sécurité de notre pays. Je sais quelles contraintes il impose. On parle rarement de vous, mais je veux saluer votre valeur et votre mérite. La permanence de la posture de dissuasion, remarquablement tenue depuis quarante ans, est en soi un éloge. Je tiens à associer vos familles à cet hommage, et tout particulièrement les familles des équipages de sous-marins. Je mesure combien les patrouilles opérationnelles représentent d'éloignement, de solitude, et parfois de souffrances. Mesdames, Messieurs, cette mission, vous l'effectuez dans un environnement en constante mutation. Avec la fin de la guerre froide, nous ne faisons actuellement l'objet d'aucune menace directe de la part d'une puissance majeure. Mais la fin du monde bipolaire n'a pas fait disparaître les menaces contre la paix. Dans de nombreux pays se diffusent des idées radicales prônant la confrontation des civilisations, des cultures et des religions. Aujourd'hui, cette volonté de confrontation se traduit par des attentats odieux, qui viennent régulièrement nous rappeler que le fanatisme et l'intolérance mènent à toutes les folies. Demain, elle pourrait prendre d'autres formes, encore plus graves, impliquant des Etats. La lutte contre le terrorisme est l'une de nos priorités. Nous avons pris un grand nombre de mesures pour répondre à ce danger. Nous continuerons sur cette voie, avec fermeté et détermination. Mais il ne faut pas céder à la tentation de limiter l'ensemble des problématiques de défense et de sécurité à ce nécessaire combat contre le terrorisme. Ce n'est pas parce qu'une nouvelle menace apparaît qu'elle fait disparaître toutes les autres. Notre monde est en constante évolution, à la recherche de nouveaux équilibres politiques, économiques, démographiques, militaires. Il est caractérisé par l'émergence rapide de nouveaux pôles de puissance. Il est confronté à l'apparition de nouvelles sources de déséquilibres : le partage des matières premières, la distribution des ressources naturelles, l'évolution des équilibres démographiques notamment. Cette évolution pourrait être cause d'instabilité, surtout si elle devait s'accompagner d'une montée des nationalismes. Certes, il n'y a aucune fatalité à voir, dans le futur, la relation entre les différents pôles de puissance sombrer dans l'hostilité. C'est d'ailleurs pour prévenir ce danger que nous devons oeuvrer à un ordre international fondé sur la règle de droit et la sécurité collective, un ordre plus juste, plus représentatif. Que nous devons aussi engager tous nos grands partenaires à faire le choix de la coopération plutôt que celui de la confrontation. Mais nous ne sommes à l'abri ni d'un retournement imprévu du système international ni d'une surprise stratégique. Toute notre Histoire nous l'enseigne. Notre monde est également marqué par l'apparition d'affirmations de puissance qui reposent sur la possession d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques. D'où la tentation de certains Etats de se doter de la puissance nucléaire, en contravention avec les traités. Des essais de missiles balistiques, dont la portée ne cesse d'augmenter, se multiplient partout dans le monde. C'est ce constat qui a conduit le Conseil de sécurité des Nations unies à reconnaître que la prolifération des armes de destruction massive, et de leurs vecteurs associés, constituait une menace pour la paix et la sécurité internationale. Enfin, il ne faut pas ignorer la persistance des risques plus traditionnels d'instabilité régionale. Ils existent partout dans le monde. Mesdames, Messieurs, Face aux crises qui secouent le monde, face aux nouvelles menaces, la France a toujours choisi, d'abord, la voie de la prévention, qui demeure, sous toutes ses formes, le socle de notre politique de défense. S'appuyant sur le droit, l'influence et la solidarité, la prévention passe par l'ensemble des actions de notre diplomatie qui, sans cesse, s'efforce de dénouer les crises naissantes. Elle passe aussi par toute une gamme de postures relevant des domaines de la défense et de la sécurité, au premier plan desquelles se trouvent les forces repositionnées. Mais ce serait faire preuve d'angélisme que de croire que la prévention, seule, suffit à nous protéger. Pour être entendu, il faut aussi, lorsque c'est nécessaire, être capable de faire usage de la force. Nous devons donc disposer d'une capacité importante à intervenir en dehors de nos frontières, avec des moyens conventionnels, afin de soutenir ou de compléter cette stratégie. Une telle politique de défense repose sur la certitude que, quoi qu'il arrive, nos intérêts vitaux seront garantis. C'est le rôle attribué à la dissuasion nucléaire, qui s'inscrit dans la continuité directe de notre stratégie de prévention. Elle en constitue l'expression ultime. Face aux inquiétudes du présent et aux incertitudes du futur, la dissuasion nucléaire demeure la garantie fondamentale de notre sécurité. Elle nous donne également, d'où que puissent venir les pressions, le pouvoir d'être maîtres de nos actions, de notre politique, de la pérennité de nos valeurs démocratiques. Dans le même temps, nous continuons à soutenir les efforts internationaux en faveur du désarmement général et complet, et, en particulier, la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Mais nous ne pourrons évidemment avancer sur la voie du désarmement que si les conditions de notre sécurité globale sont maintenues et si la volonté de progresser est unanimement partagée. C'est dans cet esprit que la France a maintenu ses forces de dissuasion, tout en les réduisant, conformément à l'esprit du traité de non-prolifération et au respect du principe de stricte suffisance. C'est la responsabilité du chef de l'Etat d'apprécier, en permanence, la limite de nos intérêts vitaux. L'incertitude de cette limite est consubstantielle à la doctrine de dissuasion. L'intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté constitueront toujours le coeur de nos intérêts vitaux. Mais ils ne s'y limitent pas. La perception de ces intérêts évolue au rythme du monde, marqué par l'interdépendance croissante des pays européens et par la mondialisation. Par exemple, la garantie de nos approvisionnements stratégiques et la défense de pays alliés, sont, parmi d'autres, des intérêts qu'il convient de protéger. Il appartiendrait au président de la République d'apprécier l'ampleur et les conséquences potentielles d'une agression, d'une menace ou d'un chantage insupportables à l'encontre de ces intérêts. Cette analyse pourrait, le cas échéant, conduire à considérer qu'ils entrent dans le champ de nos intérêts vitaux. La dissuasion nucléaire, je l'avais souligné au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, n'est pas destinée à dissuader des terroristes fanatiques. Pour autant, les dirigeants d'Etats qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d'utiliser, d'une manière ou d'une autre, des armes de destruction massive, doivent comprendre qu'ils s'exposeraient à une réponse ferme et adaptée de notre part. Cette réponse peut être conventionnelle. Elle peut aussi être d'une autre nature. Depuis ses origines, la dissuasion n'a jamais cessé de s'adapter à notre environnement et à l'analyse des menaces que je viens de rappeler. Et cela dans son esprit comme dans ses moyens. Nous sommes en mesure d'infliger des dommages de toute nature à une puissance majeure qui voudrait s'en prendre à des intérêts que nous jugerions vitaux. Contre une puissance régionale, notre choix n'est pas entre l'inaction et l'anéantissement. La flexibilité et la réactivité de nos forces stratégiques nous permettraient d'exercer notre réponse directement sur ses centres de pouvoir, sur sa capacité à agir. Toutes nos forces nucléaires ont été configurées en conséquence. C'est dans ce but que, par exemple, le nombre de têtes nucléaires a été réduit sur certains des missiles de nos sous-marins. Mais notre concept d'emploi des armes nucléaires reste bien le même. Il ne saurait, en aucun cas, être question d'utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d'un conflit. C'est dans cet esprit que les forces nucléaires sont fréquemment qualifiées "d'armes de non-emploi". Cette formule ne doit cependant pas laisser planer le doute sur notre volonté et notre capacité à mettre en oeuvre nos armes nucléaires. La menace crédible de leur utilisation pèse en permanence sur les dirigeants animés d'intentions hostiles à notre égard. Elle est essentielle pour les ramener à la raison, leur faire prendre conscience du coût démesuré qu'auraient leurs actes, pour eux-mêmes et pour leurs Etats. Par ailleurs, nous nous réservons toujours le droit d'utiliser un ultime avertissement pour marquer notre détermination à protéger nos intérêts vitaux. Ainsi, les principes qui sous-tendent notre doctrine de dissuasion n'ont pas changé. Mais ses modes d'expression ont évolué, et continuent d'évoluer, pour nous permettre de faire face au contexte du XXIe siècle. Constamment adaptés à leurs nouvelles missions, les moyens mis en oeuvre par les composantes océanique et aéroportée permettent d'apporter une réponse cohérente à nos préoccupations. Grâce à ces deux composantes, différentes et complémentaires, le chef de l'Etat dispose d'options multiples, couvrant toutes les menaces identifiées. La modernisation et l'adaptation de ces capacités sont nécessaires. Notre dissuasion doit conserver son indispensable crédibilité dans un environnement géostratégique qui évolue. Il serait irresponsable d'imaginer que le maintien de notre arsenal actuel pourrait suffire. Que deviendrait la crédibilité de notre dissuasion si elle ne nous permettait pas de répondre aux nouvelles situations ? Quelle crédibilité aurait-elle vis-à-vis de puissances régionales si nous en étions restés strictement à une menace d'anéantissement total ? Quelle crédibilité aurait, dans le futur, une arme balistique dont le rayon d'action serait limité ? Ainsi, le M51, grâce à sa portée intercontinentale, et l'ASMPA nous donneront, dans un monde incertain, les moyens de couvrir les menaces d'où qu'elles viennent et quelles qu'elles soient. De même, nul ne peut prétendre qu'une défense antimissiles suffit à contrer la menace représentée par les missiles balistiques. Aucun système défensif, si sophistiqué soit-il, ne peut être efficace à 100 %. Nous n'aurons jamais la garantie qu'il ne pourra être contourné. Fonder toute notre défense sur cette unique capacité inviterait nos adversaires à trouver d'autres moyens pour mettre en oeuvre leurs armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques. Un tel outil ne peut donc être considéré comme un substitut de la dissuasion. Mais il peut la compléter en diminuant nos vulnérabilités. C'est pourquoi la France s'est résolument engagée dans une réflexion commune, au sein de l'Alliance atlantique, et développe son propre programme d'autoprotection des forces déployées. La sécurité de notre pays et son indépendance ont un coût. Il y a quarante ans, la part d'investissements du ministère de la défense consacrée aux forces nucléaires était de 50 %. Depuis, cette part a constamment été réduite et ne devrait représenter que 18 % en 2008. Aujourd'hui, dans l'esprit de stricte suffisance qui la caractérise, notre politique de dissuasion représente globalement moins de 10 % du budget total de la défense. Les crédits qui lui sont consacrés portent sur des techniques de pointe et soutiennent l'effort de recherche scientifique, technologique et industriel de notre pays. 10 % de notre effort de défense, c'est le prix juste et suffisant pour doter notre pays d'une assurance de sécurité, crédible et pérenne. La mettre en cause serait irresponsable. En outre, le développement de la PESD, l'imbrication croissante des intérêts des pays de l'Union européenne, la solidarité qui existe désormais entre eux, font de la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, un élément incontournable de la sécurité du continent européen. En 1995, la France avait émis l'idée ambitieuse d'une dissuasion concertée afin d'initier une réflexion européenne sur le sujet. Ma conviction demeure que nous devrons, le moment venu, nous poser, ensemble, la question d'une défense commune, qui tiendrait compte des forces de dissuasion existantes, dans la perspective d'une Europe forte, responsable de sa sécurité. Les pays de l'Union ont commencé à réfléchir ensemble à ce que sont, ou ce que seront, leurs intérêts de sécurité communs. C'est une première et nécessaire étape. Mesdames, Messieurs, Depuis 1964, la France dispose d'une dissuasion nucléaire autonome. Ce sont les enseignements de l'Histoire qui avaient conduit le général de Gaulle à faire ce choix crucial. Pendant toutes ces années, les forces nucléaires françaises ont assuré la défense de notre pays et contribué à préserver la paix. Elles continuent aujourd'hui à veiller, en silence, pour que nous puissions vivre dans un pays de liberté, maître de son avenir. Elles continueront demain d'être le garant ultime de notre sécurité. En tant que chef des armées et au nom des Françaises et des Français, je veux exprimer la gratitude et la reconnaissance de la nation à toutes celles et ceux qui concourent à cette mission.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home